Vous n'y aurez pas échappé, l'actualité du jeu vidéo a été particulièrement agitée ces derniers jours. Pour cause, l'un des piliers de l'industrie du jeu vidéo depuis plus de vingt ans, Xbox, a franchi une ligne rouge dans sa jusqu'à présent timide transition de constructeur à éditeur. Halo, la plus symbolique des icônes de la marque, va voir le jour sur PlayStation, son concurrent historique, marquant définitivement la fin de la dernière "guerre des consoles". Fin d'une ère, hissage du drapeau blanc ou inévitable tournant de l'industrie, l'encre coule à flots dans la presse spécialisée pour décrire ces évènements tant ils semblaient inimaginables il y a seulement quelques années de cela. Au sein de cette effusion d'articles, une pensée revient souvent : celle qui estime l'exclusivité des jeux à une console, un concept dépassé et définitivement enterré. À l'ère où PlayStation et Xbox publient chacun des jeux sur la console de l'autre, sur celles de Nintendo ainsi que sur PC, nous sommes effectivement en droit de se demander s'il ne s'agit pas d'une époque révolue et, surtout, s'il est toujours bien censé de limiter son audience. La question est en réalité plus complexe que cela et demande de se plonger sur l'intérêt même de créer un jeu exclusif à une plateforme.
Il est bien connu qu'historiquement, la fabrication et vente de consoles n'est pas une activité particulièrement rentable. La nécessité d'offrir un produit le plus performant possible à un tarif concurrentiel dans une industrie de divertissement, donc de produits pour lesquels il est facile de s'en passer, fait que les consoles sont souvent vendues avec une marge assez faible, voire inexistante. C'est autant le cas de PlayStation et Xbox, en concurrence directe l'un avec l'autre, que de Nintendo qui doit s'efforcer de consolider dans une machine compacte la puissance nécessaire pour s'assurer le soutien des éditeurs tiers. C'est même le cas de Valve, avec son récent Steam Deck, dont le prix très concurrentiel de 429,99€ à la sortie était le fruit de lourds et douloureux sacrifices.
C'est en réalité sur les royalties que les constructeurs font leur bénéfice. En récoltant entre 20 et 30% des revenus générés sur chaque vente, et ce sans avoir soi-même investi d'argent dans la production du jeu en ce qui concerne ceux publiés par des éditeurs tiers, ce sont des milliards qui reviennent dans les poches des constructeurs, justifiant ainsi largement les investissements conséquents pour sortir une console à un prix abordable. En ajoutant à cela les revenus générés par les abonnements nécessaires pour jouer en ligne et tous les extras qui en découlent, on peut facilement penser que les constructeurs n'ont en réalité aucun intérêt à eux-mêmes prendre le risque de publier des jeux, une affaire coûteuse et parfois peu rentable.
Le problème revient évidemment à l'intérêt d'acheter une console plutôt qu'une autre. Fut un temps, les spécificités techniques d'une console par rapport à une autre pouvaient suffire : la PlayStation première du nom était non seulement moins chère que la Saturn qui sortait en même temps, mais se permettait en plus de meilleures performances sur la plupart des jeux qui sortaient sur les deux machines. Cette différence n'a toutefois que rarement eu lieu dans l'histoire des consoles et est encore moins pertinente aujourd'hui, à l'ère des jeux disponibles sur plusieurs générations de machines et dont le niveau graphique peut s'adapter à différents niveaux de performances. Non, ce qui fait la différence, ce sont les jeux et plus particulièrement ceux qui ne sont pas sur les consoles concurrentes.
La guerre des consoles, c'est surtout en réalité la guerre des jeux. Qu'il s'agisse de comparer Mario avec Sonic, Final Fantasy VII avec Grandia ou Uncharted avec Halo, ce sont les jeux exclusifs qui auront été le différentiel numéro un dans le choix de sa console. Personne ne l'apprendra en lisant ces quelques lignes. Toutefois, il est clair que la pratique de ne développer son jeu que pour une seule plateforme est beaucoup moins répandue qu'autrefois. L'époque où Final Fantasy VII Remake était annoncée en grande pompe lors de l'E3 2015 de PlayStation, exclusivement pour PlayStation 4, semble bien lointaine quand, aujourd'hui, le jeu s'apprête à sortir sur Nintendo Switch 2 et ses deux suites sont déjà prévues pour cette même console. Le CEO de Square Enix lui-même déclarait un changement de cap majeur pour la compagnie qui allait désormais avoir une vision multiplateforme pour l'intégralité de ses jeux, quand historiquement la série Dragon Quest sortait exclusivement sur consoles Nintendo (à quelques exceptions près). Ce changement soudain pour l'ensemble de l'industrie n'est pas anodin et s'explique par une très simple raison : le coût de production des jeux explose tandis que le nombre de joueurs stagne.
On le sait, il n'a jamais été aussi cher de faire un jeu vidéo. Les standards visuels augmentent, les exigences de contenu grimpent et les jeux doivent être toujours plus fluides, toujours plus longs et toujours plus suivis sur le long terme. Cela ne serait pas si problématique si le nombre de clients potentiels pour ces jeux gros budgets grimpait de la même façon. Ce n'est en réalité pas le cas du tout. Le nombre de joueurs consoles stagne de génération en génération, avec un plafond de verre évident pour tous les développeurs. La solution du multiplateforme paraît alors évidente. En ne se limitant plus à l'audience d'une seule plateforme, on s'ouvre à un parc deux à trois fois plus grand pour augmenter la rentabilité de son jeu. Certes, les coûts de production augmentent en conséquence, mais il s'agit d'un problème moindre aujourd'hui quand les moteurs de développement modernes facilitent l'optimisation sur différents environnements. En prime, les joueurs n'auront plus à acheter plusieurs machines pour jouer à tous les jeux. Tout le monde serait alors gagnant ?
En réalité, pas vraiment. Un premier problème évident à court terme s'impose : si tous les jeux sont disponibles sur toutes les plateformes, sur quelle console alors jouer ? La réponse a été très claire : celle que les joueurs possèdent déjà. Malheureusement pour Xbox, cette transition vers le multiplateforme a eu lieu en même temps que son cuisant échec commercial qu'était la Xbox One. Après une génération qui a fini quasiment à ex æquo entre la Xbox 360 et la PlayStation 3, la Xbox One s'est platement vautrée, faute à une multitude de choix invraisemblables sur lesquels nous ne reviendrons pas, mais qui ont permis à PlayStation de devenir la console de salon traditionnelle par excellence. Désormais, avec une Xbox Series qui affiche parmi les pires ventes que l'industrie des consoles a connu, Xbox n'a pas d'autres choix pour assurer la rentabilité de ses propres jeux que de les publier sur les plateformes concurrentes. Une longue série de mauvais choix managériaux par Don Mattrick et Phil Spencer ont conduit à cette situation pour laquelle ils ne peuvent que se blâmer.
Mais cette situation est aussi néfaste pour les joueurs. En effet, la logique d'un constructeur n'est pas la même que celle d'un éditeur. Nous venons de l'expliquer : un constructeur fait son pain sur les royalties de la vente de jeux sur sa machine. En abandonnant le marché des consoles, Xbox est désormais dans l'obligation de viser une rentabilité maximale sur la simple vente des jeux, son service d'abonnement Game Pass étant très loin d'avoir le nombre de clients nécessaires pour subvenir à son existence. Il lui est donc nécessaire de produire ce qui se vend le plus, à savoir donc ses grosses franchises phares. Halo, Minecraft, Indiana Jones, Fallout et consort.
Qu'en est-il alors de tout le reste ? Ces franchises avec un potentiel commercial moins important, mais qui auront marqué les joueurs par leur style unique ? Tout porte à croire qu'ils cesseront progressivement d'exister. SEGA est un cas d'école en la matière. L'arrêt de la commercialisation de la Dreamcast a également conduit à une mort programmée pour d'innombrables franchises qui étaient pourtant récurrentes à l'époque : Jet Set Radio, Crazy Taxi, Chu Chu Rocket, Skies of Arcardia, Shenmue... Aujourd'hui, certaines de ces séries reviennent grâce au potentiel commercial de la nostalgie, mais de manière bien plus sporadique et limitée qu'autrefois. C'est bien normal, SEGA devait revenir à flots et elle a dû compter sur ses grands héros, laissant sur le carreau tout le reste. Tout porte à croire que la même chose arrivera à Xbox qui multiplie les licenciements dans ses studios historiques.
Tout ceci nous amène au cas singulier de Nintendo, dernier bastion du jeu traditionnel et exclusif à ses propres machines. Dans une logique d'éditeurs tiers, peut-on réellement imaginer des jeux comme Famicom Detective Club, Endless Ocean: Luminous ou Another Code: Recollection voir le jour, quand ils sont assurés de ne jamais engranger de bénéfices vu leur audience restreinte ? Un éditeur tiers aurait-il bien pu investir tant de moyens pour faire de Xenoblade Chronicles, une série qui a commencé par de nombreux échecs commerciaux, le pilier du J-RPG qu'il est aujourd'hui ? Qu'en est-il des sauvetages qu'ont été Bayonetta 2 et 3 ? The Legend of Zelda: Breath of the Wild pouvait-il bien se permettre un développement si long si la santé financière de la compagnie en dépendant urgemment ? Metroid Prime 4: Beyond aurait-il pu justifier une remise à zéro complète de son développement, alors qu'il est pratiquement garanti que le jeu ne rentrera pas dans ses frais ? Il y a fort à parier que rien de tout ça n'aurait pu avoir lieu.
La force d'un constructeur est sa capacité à pouvoir prendre des risques. Grâce à ce véritable coussin que sont les ventes de console et les royalties perçues sur les ventes de jeux, Nintendo peut se permettre de financer des projets avec une rentabilité moindre, mais qui pourraient attirer un public qui n'aurait autrement pas considéré acheter une de ses consoles. Il s'agit d'investissements long-terme que ne peut pas se permettre un éditeur tiers, pouvant faire faillite sous le poids de quelques échecs. C'est, dans un sens, une liberté qui permet d'aller à l'encontre des tendances de l'industrie. En tant que joueur impliqué dans celle-ci, on ne peut qu'espérer que cette situation puisse perdurer aussi longtemps que possible.
Lors de l'E3 2014, Shawn Layden, alors président de la division PlayStation de Sony, déclarait à propos du jeu Vib Ribbon sorti en 1999 sur PlayStation: "Ce n'était pas un jeu qui a vendu plusieurs millions de copies. Ce n'était pas son objectif. Il n'avait pas peur d'aller à l'encontre des tendances. Il était courageux dans son ambition de donner une nouvelle expérience aux joueurs".

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L'exemple le plus pertinent c'était Sony Japan Studios, PlayStation savait que c'était pas un studio pour faire des machines à fric type God of War ou The Last of Us, mais osef c'était pas le but. C'était un endroit pour permettre à de petites équipes de pouvoir s'exprimer et proposer des projets plus étranges, plus foufou. Des fois ça pouvait donner d'immenses succès critiques comme Ico ou Shadow of the Colossus, mais bien souvent c'était des trucs très niche à la Parappa, Patapon, Tokyo Jungle et j'en passe. Malheureusement les têtes dirigeantes de Sony ont changé, le blockbuster est devenu la norme et Japan Studios a dû être sacrifié. Reste plus qu'à espérer que la Team Asobi propose des trucs un peu plus foufou qu'un Astro Bot, qui aussi sympathique qu'il soit est loin du rafraîchissement d'un Ape Escape ou d'un Gravity Rush.
Bon sang, que c'était essentiel à cette industrie ! Pas étonnant que la plupart des créatifs de cette époque soient aujourd'hui obligé de passer par la case indé et surtout financement participatif, que ce soit pour Korobo, Slitterhead ou Ratatan.
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Limite Playstation sans la moindre exclusivité, leurs consoles seraient quand même un succès. Ce qui est tout l'inverse de Nintendo.
Playstation et Nintendo ont leur propre philosophie et ils excellent dans leur domaine.
Xbox, que ce soit sur la philosophie de Nintendo ou celle de Playstation, ils ont tous foirés en tant que constructeur. Ils ont été mauvais sur tous les plans.
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